Sur les chemins de JRS – Partie 4

Joyeux même dans un travail difficile ?

Nous avons vu au dernier épisode de la série Sur les chemins de JRS que l’association a été créée officiellement le 14 novembre 1980. Dès le 6 août 1981, le Père Arrupe se rend en Thaïlande pour y rencontrer de nouveau les jésuites qui y travaillent dans les camps. Fidèle à la manière de faire des jésuites, il écoute chacun individuellement, puis sa visite se termine par une causerie, pendant laquelle il fait un écho au groupe de ce qu’il a entendu et de la manière dont cela le fait réagir. Ce temps de discussions informelles a été retranscrit. Ce texte, souvent appelé le chant du cygne du Père Arrupe, est resté célèbre dans l’histoire de JRS et dans celle des jésuites.

C’est en effet sa dernière prise de parole officielle avant qu’il ne monte dans l’avion qui le ramènera à Rome, où il sera victime d’un AVC en sortant de l’aéroport. Il échappera de justesse à cet accident et demeurera toute sa vie alité, lourdement handicapé et incapable de prendre la parole. Étant donné l’importance symbolique de ce texte, premier retour d’expérience après six mois de fonctionnement de JRS et dernière prise de parole de son fondateur, nous nous proposons de le lire en deux épisodes. Ce mois-ci, nous nous pencherons sur la relecture qu’Arrupe fait de l’expérience. La prochaine fois, nous nous concentrerons sur l’héritage qui nous est laissé.

Dans cette relecture, Arrupe pose d’abord un regard dont l’acuité demeure pour JRS France : « Je pense que vous devez être très heureux de votre travail ici. Vous faites un travail remarquable. Bien qu’il soit difficile, c’est un travail important ».

Le Père Général des Jésuites commence par se réjouir du travail qui est effectué. Il ne se contente d’ailleurs pas de se réjouir, mais il invite également les membres du JRS à partager sa joie. Cette ouverture peut paraître choquante : comment proposer la joie au milieu des camps, dans des situations humaines complexes ? En outre, comment oser utiliser le vocabulaire de la béatitude auprès de personnes fatiguées par la surcharge de travail et les conditions humaines extrêmement rudes auxquelles elles sont soumises ? N’y a-t-il pas là une forme d’inconséquence, voire d’indécence ? Est-ce seulement l’effet d’une nouvelle occurrence de « l’optimisme naïf » dont Arrupe a souvent été accusé ? Je ne pense pas. Le Père Arrupe est parfaitement conscient du fait que le travail dans les camps thaïlandais est austère, que les personnes sont soumises à des situations « lourdes » et que leur travail est « rude ». On en fera un écho plus tard. Il est également conscient du fait qu’agir avec JRS est peu gratifiant, car le travail effectué est « invisible » pour beaucoup et qu’il semble complètement dérisoire au regard de l’ampleur des situations.

Puisqu’il est conscient de ces difficultés, à quelle joie invite le Père Arrupe ? Certainement pas à un auto-contentement ou à une ivresse bruyante ! Peut-être en revanche suggère-t-il que l’on peut, malgré les ténèbres, porter un regard lumineux sur les situations et célébrer ce qui avance. Comment y parvenir ? Le Père Arrupe ne le dit pas, mais il suggère une piste quand il évoque l’excellence à laquelle les collaborateurs de JRS sont invités, en plus du professionnalisme et du sérieux que le service des personnes déplacées par force impose : pour le Père Arrupe, JRS n’est pas excellent en termes de quantité du travail fourni, mais dans la qualité du don de celles et ceux qui s’engagent. Voilà pourquoi il affirme « la véritable excellence est dans la qualité du don de nous-mêmes. Voilà ce qui importe à mon avis ».

À sa manière, Arrupe invite donc à porter un regard lucide sur le monde, c’est-à-dire un regard qui ne se limite pas à l’horreur du monde mais ose aussi contempler la générosité, la délicatesse et la gratuité qui sont également à l’œuvre dans le monde et qui se déploient abondamment. Entrer dans l’esprit de JRS n’est donc pas une question de christianisme ou d’athéisme, ce n’est pas non plus une question de nationalité, mais il s’agit d’être prêt à travailler avec sincérité et générosité, de se donner honnêtement et de permettre aux autres d’exprimer leur générosité.

 

Deux questions se posent maintenant à nous  :

  • Quelles difficultés ai-je rencontrées dans mon engagement à JRS récemment ? Comment puis-je formuler mes frustrations ?
  • En faisant mémoire de ce qu’ont fait les autres autour de moi, de quoi puis-je me réjouir dans le travail effectué collectivement à JRS ?
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