À l’écoute des cris du monde : JRS en République démocratique du Congo (RDC)
Entretien avec Victor SETIBO, directeur pays de JRS en RDC
Quelle est l’évolution dans l’est de la RDC ?
Une situation ancienne
Dans sa partie Est, depuis plus de trente ans, la République Démocratique du Congo (RDC) traverse une crise humanitaire d’une grande complexité, marquée par de nombreux conflits armés de natures diverses. D’après le plan de réponse humanitaire 2025 de la République démocratique du Congo, « à la fin de l’année 2024, plus de 6,5 millions de personnes étaient déjà déplacées à l’intérieur du pays, faisant de la RDC l’une des plus grandes crises de déplacement », avec des besoins humanitaires parmi les plus importants au monde. L’insécurité alimentaire touche aujourd’hui plus de 25,6 millions de personnes, et 1,39 million d’enfants souffrent de malnutrition aiguë sévère. Derrière ces statistiques se cachent des familles déracinées, des vies brisées et des communautés qui, année après année, peinent à se relever.
Une exacerbation récente de la crise humanitaire marquée par de forts mouvements des populations
Le début de l’année 2025 a été marqué par une amplification dramatique de la crise dans l’Est de la RDC. En quelques semaines, la situation a basculé de façon spectaculaire avec la prise de la ville de Goma par le M23 le 27 janvier 2025 après d’intenses combats, causant plus de 3000 morts et de nombreux blessés. Par ailleurs, l’intensification des combats au Sud-Kivu et la prise de Bukavu le 16 février 2025, ont plongé le pays et la région des Grands Lacs dans une crise d’une ampleur inédite.
Depuis janvier 2025, environ 50 000 personnes sont arrivées au Burundi en provenance de la RDC, dont plus de 38 000 ont besoin d’une protection internationale. Environ 700 000 personnes déplacées étaient abritées dans des sites formels et informels autour de Goma jusqu’à la semaine précédant l’offensive sur la ville. Au 18 février 2025, on estimait la population restant dans les sites de déplacés à moins de 62 000 personnes, soit moins de 10 % de la population occupant les camps en décembre 2024.
Dans son plan de réponse aux déplacements dans l’Est de la RDC et dans les pays voisins pour la période allant de février à avril 2025, le HCR indique que l’accès humanitaire pour répondre aux besoins urgents continue d’être considérablement restreint du fait de la fermeture de l’aéroport de Goma (depuis fin janvier) et des dommages causés aux infrastructures essentielles (notamment routières). Les installations d’eau et d’électricité sont mises à rude épreuve par l’augmentation du nombre de victimes et sont exposées à un risque important d’augmentation des cas de maladies transmissibles, notamment de choléra, de variole et de rougeole.

Que fait JRS en RDC aujourd'hui, quelles sont ses actions et ses défis ?
Comme acteur social et humanitaire dans l’Est de la RDC, JRS intervient à deux niveaux : réponse et prévention. Ses activités s’orientent ainsi autour de cinq grands axes : l’Éducation, les Moyens de subsistance, la Santé mentale et soutien Psycho-social, la Réconciliation, ainsi que la Protection et le plaidoyer.
Les derniers affrontements dans la ville de Goma ont mis en mal et ont ralenties toutes ces activités. Les personnels de JRS œuvrant dans l’Est de la RDC ont été particulièrement frappés par cette détérioration brusque du contexte sécuritaire. Dans la semaine du 27 au 31 janvier 2025, tout s’est compliqué dans la ville de Goma ! Pas d’eau, pas d’électricité, pas d’internet, on n’entendait que des détonations assourdissantes des armes automatiques. Après trois jours d’intenses combats, l’ampleur des tirs avait baissé, les habitants de Goma enfermés dans leurs maisons commençaient à sortir timidement ; certains cherchant où puiser de l’eau et où s’acheter un peu de nourriture, plusieurs commerces étant fermés ou pillés. D’autres cherchant à avoir des nouvelles de leurs proches, familles et amis ; d’autres encore, cherchant à savoir ce qui s’est exactement passé pendant les trois jours de réclusion forcée. Une vraie guerre venait d’avoir lieu à Goma avec toutes les conséquences : dans certains quartiers, on pouvait voir des cadavres jonchant les rues. Un des chauffeurs de JRS et son épouse ont été touchés par des éclats d’une bombe tombée sur leur maison : l’homme à la jambe gauche et la femme au niveau de la poitrine. Leurs trois enfants en sont sortis indemnes. Les parents ont pu bénéficier d’une prise en charge médicale quasi immédiate et s’en sont miraculeusement bien tirés.
Après ces incidents dramatiques, il était important de mener des évaluations et faire l’état de lieux car le contexte a beaucoup changé : des sites de déplacés entourant la ville de Goma ont été démantelés avec un retour massif des populations déplacées vers leurs villages d’origine sans mesures d’accompagnement. Les évaluations faites permettent de mieux organiser et orienter nos interventions dans les écoles pillées ou endommagées par les combats et qui peinent à réouvrir leurs portes, mais aussi auprès des communautés et personnes affectées pour une prise en charge psychosocial appropriée car, au-delà du traumatisme causé par les derniers affrontements, l’évolution de la situation ne fait que renforcer une crise de protection qui touche de manière disproportionnée les femmes et les jeunes filles, exposées en particulier à un niveau intolérable de violences sexuelles et de violences basées sur le genre.
Cette crise en RDC s’accentue avec d’importants besoins humanitaires à un moment où au niveau mondial les ressources financières destinées à l’aide humanitaire et à l’aide au développement deviennent de plus en plus limitées. Et pourtant, c’est dans ce dans ce contexte que JRS s’efforce de faire entendre la voix de toutes ces victimes qui n’ont pas toujours la possibilité de raconter leur histoire, leur douleur et leurs souffrances. Par-dessus tout, toutes nos actions et activités visent toujours à redonner espoir en un monde meilleur.
Quel message portez-vous auprès des personnes déplacées que vous accompagnez ?
Dans ce contexte si sombre et où l’on pourrait facilement se résigner et céder au désespoir, fidèle à sa mission d’accompagner, de servir et de défendre, JRS RDC continue à être présent auprès des communautés et des de personnes affectées par cette crise qui a déjà trop durée. Il n’est pas question de perdre espoir en un avenir meilleur car c’est maintenant qu’il faut construire cet avenir en sensibilisant, en mobilisant et en accompagnant le processus de réconciliation pour une paix durable.
Certes, le chemin vers la réconciliation et la paix est très long et est souvent parsemé de beaucoup d’embuches. JRS chemine avec les personnes servies en portant et en partageant ses valeurs de solidarité, de dignité, d’hospitalité, d’espoir et de justice. Dans notre mission en RDC, un accent plus particulier est mis sur l’hospitalité. Une hospitalité qui nous fait cheminer avec les plus vulnérables ; une hospitalité qui comprend comme le Pape François « qu’il ne suffit pas de donner un sandwich si cela n’est pas accompagné de la possibilité d’apprendre à se débrouiller seul. La charité qui ne change pas la situation des pauvres ne suffit pas. La vraie miséricorde, que Dieu nous enseigne et nous inculque, exige la justice, afin que les pauvres puissent trouver une issue à la pauvreté. » (Pape François, lors de sa visite au Centre Astalli, JRS Italie en 2013).
Quelques mots à la communauté des acteurs de JRS en France ?
Très chers membres et amis de JRS France, vous avez peut-être entendu parler du conflit et de la crise humanitaire en RDC dans les médias, chez des proches ou des amis, ou même par des ressortissants de la RDC que vous auriez déjà rencontrés. C’est un conflit très complexe, qui dure depuis trois décennies. Comme tout le peuple du monde, ceux de la RDC aspirent aussi à une paix durable.
Malheureusement, les conflits en RDC ont été souvent associés à une exploitation mal réglementée du secteur des ressources naturelles, qui est devenue le terrain de la concurrence entre les acteurs étatiques[1] et non étatiques locaux et étrangers cherchant à capitaliser sur le vide réglementaire et l’insécurité. Bien que les ressources naturelles ne soient pas nécessairement la cause des conflits en soi, en l’absence d’institutions fortes pour assurer une surveillance réglementaire efficace et la protection des droits de l’Homme, l’exploitation des ressources naturelles peut devenir à la fois une incitation à la prise des armes contre l’État et un carburant pour la machine de guerre.[2] La RDC ne pourra pas seule se relever de cette crise d’une ampleur inédite. Une forte mobilisation internationale est indispensable pour maintenir une réponse à la hauteur des besoins humanitaires croissants mais des actions concrètes devraient être menées pour une paix durable.
Notre plaidoyer va dans le sens de celui fait par le Coordonnateur humanitaire en RDC, Bruno Lemarquis, dans son introduction du plan de réponse humanitaire 2025 de la RDC : « L’année 2025 sera décisive. Nous sommes à un moment charnière où les violences s’intensifient, l’incertitude grandit et la pression sur les humanitaires n’a jamais été aussi forte. Nous avons une obligation morale et collective : agir, protéger et porter assistance à ceux qui en ont le plus besoin, en nous appuyant sur les principes humanitaires fondamentaux, absolus et non négociables d’humanité, de neutralité, d’impartialité et d’indépendance ».
Voir également l’appel à la paix et à la protection de la population civile dans l’est de la République Démocratique du Congo co-signé le 20 février 2025 par JRS.
[1] LOI N° 007/2002 DU 11 JUILLET 2002 Portant Code Minier telle que modifiée et complétée par la loi N° 18/001 de mars 2018.
[2] Adeyemi Olayiwola Kayode Dipeolu, ed., Conflicts in the Democratic Republic of Congo: Causes, Impact and Implications for the Great Lakes Region (Addis Ababa, Ethiopia: United Nations, Economic Commission for Africa, 2015), 2.