LE NOUVEAU PACTE EUROPÉEN SUR LA MIGRATION

Les accompagnements et rencontres quotidiennes que nous vivons à JRS France ont forgé notre conviction que la convergence des politiques nationales et l’instauration d’un cadre européen commun sont nécessaires pour répondre aux défis de l’accueil et de l’intégration des personnes exilées.

Qu’est-ce que le nouveau pacte européen ?

Le pacte commence par rappeler avec force cet objectif : offrir à l’UE un cadre juridique solide et partagé entre les Etats Membres. Il insiste sur la nécessaire solidarité qui doit présider à leurs relations[1].
Par ailleurs, il entend également privilégier une approche « globale » ou « de bout en bout » de la politique d’asile et de migration. En abordant tout à la fois les questions d’accueil, de relations avec les pays tiers, de développement, de lutte contre les réseaux de passeurs, d’intégration… et ce souci de prendre en compte l’ensemble des dimensions de la question migratoire apparaît pertinent (comme celle défendu dans Global Compact for Migration de Marrakech en décembre 2018)

Pour autant, la lecture du Pacte déçoit et désoriente. Serait-ce précisément parce qu’il lui manque une boussole ?

De fait, malgré la mention des valeurs européennes et du droit international, il semble que ce soient d’abord des choix de « gestion efficace », de « sécurité » ou de « préservation » des frontières extérieures des Etats-Membres qui prédominent, bien plus que qu’une approche qui mettrait la personne humaine au centre de la réflexion.
Ainsi, selon le Pacte (Introduction page 1) « la tâche qui incombe à l’Union européenne (UE) et à ses États membres – parallèlement aux besoins urgents auxquels il faut continuer de répondre – consiste à mettre en place un système permettant à la fois de maîtriser et de normaliser la migration à long terme, tout en étant pleinement ancré dans les valeurs européennes et le droit international. »

Il ressort de l’ensemble du texte que les objectifs prioritaires sont bien la « maîtrise » et la « normalisation » de la migration. Les résultats attendus sont la limitation du nombre de personnes qui entrent sur le territoire de l’Union Européenne (elles étaient 139 000 en 2019 – selon Frontex).

Place des valeurs humaines dans le pacte

Nos valeurs – la dignité de l’Homme, le respect des droits fondamentaux -, ce qui fait notre humanité, n’inspirent plus la politique européenne. Elles n’en constituent plus le socle mais sont reléguées au rang de garde-fous.
Le Pacte entend « produire des résultats à la fois solides et humains » ou précise que « bien qu’ancré dans nos valeurs, il (le système proposé par le pacte) permettra d’obtenir les résultats nécessaires ».
Comment des résultats pourraient-ils être « solides » sans être humains ? Comment l’ancrage dans nos valeurs pourrait-il nuire aux résultats nécessaires ?

Dans ce contexte, il n’est donc pas étonnant que certaines propositions-phares du Pacte interrogent, voire gênent franchement.

Ainsi en est-il du mécanisme (peu détaillé à ce stade) intitulé « filtrage préalable » aux frontières extérieures de l’Union européenne par lequel « les demandes d’asile ayant peu de chance d’être acceptées devraient être examinées rapidement sans nécessiter d’entrée légale sur le territoire de l’État membre ». Difficile de voir dans ce nouveau durcissement des frontières, la volonté de prendre mieux en compte la situation des personnes ou de voir davantage respectés leur dignité et leurs droits.

S’agissant des voies d’accès sûres et légales, le texte s’étend sur la nécessité d’attirer les talents et de développer la migration économique pour répondre aux besoins en main d’œuvre de l’Union Européenne. Mais, il ne propose pas de réponse pour celles et ceux qui ont besoin de protection. Les objectifs proposés en matière de réinstallation[2] (29.500 personnes sur deux ans pour l’ensemble de l’UE) sont très insuffisants par rapport aux 1,44 millions de personnes qui ont besoin d’être réinstallés, selon les chiffres du HCR.

La boussole du pacte

Le nouveau mécanisme de « solidarité » entre les Etats-Membres, censé abolir le Règlement Dublin est, lui aussi, interpellant : par crainte d’un refus de certains Etats-Membres, la Commission a ainsi imaginé leur laisser le choix de déployer leur « solidarité » soit dans des actions de relocalisation (accueil sur son territoire de personnes exilées arrivées sur le territoire d’un autre Etat-Membre), soit dans des actions de « parrainage au retour »[3].

Employer le terme même de solidarité lorsqu’il s’agit, non plus de favoriser un meilleur accueil des personnes exilées, mais exclusivement de contribuer à mettre en œuvre des actions en vue d’obtenir le départ effectif de certains d’entre eux, n’est-ce pas le signe qu’on a perdu sa boussole ? Faute de boussole, un double glissement s’opère d’une solidarité non plus vis-à-vis des personnes migrantes mais entre Etats-Membres ; d’une solidarité non plus en vue d’un meilleur accueil des personnes vers ce qui n’est plus qu’une contribution financière ou matérielle permettant d’éviter tout accueil.

La situation est complexe et le propos n’est pas de dresser un réquisitoire contre le Pacte ou la Commission. Certaines mesures méritent, par ailleurs, d’être saluées comme celles touchant, par exemple, à l’intégration des réfugiés[4].
L’enjeu porte sur la boussole de la politique européenne d’asile et de migration, sur sa visée à moyen et long terme aussi.

La Commission indique, à juste titre cette fois, que la politique d’asile et de migration nécessite la participation et l’engagement de tous. Elle invite le Parlement européen et le Conseil à imprimer un nouvel élan. Elle forme le vœu qu’en travaillant de concert, l’UE fasse en sorte qu’une politique de migration et d’asile véritablement commune voie le jour rapidement.

Et nous, citoyens ?
Nous devons résolument y prendre notre part, à tous les niveaux (local, national ou européen) et « de bout en bout », mais sans perdre de vue notre boussole : le respect de la personne migrante en premier.

Pour ma part, je crois que l’UE comme chacun de nous, portons une responsabilité individuelle et collective envers celles et ceux, exilés, qui ont cherché, cherchent et chercheront à nous rejoindre. Dès lors, il devrait toujours s’agir – depuis ce point de départ – de réfléchir comment répondre à cette responsabilité, comment l’honorer au mieux.

Guillaume Rossignol, Directeur adjoint de JRS France


[1] Introduction (page 1) « un nouveau cadre européen durable est nécessaire pour gérer l’interdépendance entre les politiques et les décisions des États membres et pour apporter une réponse adéquate aux possibilités et aux difficultés qui apparaissent en temps normal, dans les situations de pression et dans les situations de crise. » (…). « Le nouveau pacte reconnaît qu’aucun État membre ne devrait se voir imposer une responsabilité disproportionnée et que tous les États membres devraient systématiquement contribuer à la solidarité »

[2] La réinstallation consiste à transférer des réfugiés d’un pays d’asile (ex. Turquie, Liban, Jordanie, Tanzanie, Egypte) à un autre Etat qui a accepté de les admettre et de leur accorder à terme une résidence permanente. Les pays de réinstallation accordent une protection juridique et physique aux réfugiés réinstallés, notamment l’accès aux droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels dans des conditions d’égalité avec les nationaux.

[3] Section 2.2 du Pacte (page 6) – Un cadre commun pour la solidarité et le partage des responsabilités :
« (…) Le nouveau mécanisme de solidarité sera principalement axé sur la relocalisation ou le parrainage en matière de retour. Dans le cadre du parrainage en matière de retour, les États membres fourniraient à l’État membre sous pression toute l’aide nécessaire pour procéder au retour rapide des personnes n’ayant pas le droit de séjourner dans l’Union(…). Les États membres peuvent mettre l’accent sur les nationalités au sujet desquelles les chances de procéder effectivement à des retours leur paraissent les plus élevées.  (…) les États membres auront la latitude de choisir si et dans quelle mesure ils veulent répartir leurs efforts entre les relocalisations et les parrainages en matière de retour. »

[4] Cf. section 8 du Pacte (page 31) : Soutenir l’intégration pour construire des Sociétés plus inclusives.

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