JRS France répond souvent à des demandes de sensibilisation, notamment auprès des jeunes en lycée. Excellente occasion de mieux connaître la réalité des réfugiés et demandeurs d’asile, sur laquelle ils sont invités à réfléchir et à réagir, c’est aussi un moment important que de rencontrer un réfugié et de pouvoir parler avec lui.
En mars 2012, devant plus d’une centaine de jeunes du Collège jésuite de Tivoli, à Bordeaux, Bestun a donné un témoignage sur son parcours de réfugié. Kurde d’Iran, arrivé en France en 2010, il est maintenant réfugié statutaire.
Je suis le fils de Khalid, militant du Parti Démocratique du Kurdistan-Iran, qui luttait contre la dictature iranienne et souhaitait la laïcité, la liberté et l’égalité pour tous. C’est un parti officieux mais très organisé et ses membres logeaient parfois à la maison. Ma mère, Asmar, au foyer, suivait les affaires de la maison et aidait mon père dans son travail.
Je suis né, comme eux, dans le Kurdistan Iranien, dans la dernière ville près de la frontière Irakienne, en 1987, et j’ai passé mon enfance entre la ville et la campagne. Je suis allé à l’école coranique dès l’âge de 8 ans, et là j’ai appris à lire et écrire en arabe. Pour ma famille, il était important que j’apprenne aussi le kurde et dans cette école il y avait un professeur qui nous l’apprenait en cachette, car cette langue est interdite par le gouvernement. Les cours se tenaient dans les petites salles latérales de la mosquée, et nous étions 8 garçons. En Iran, les filles peuvent étudier le Coran à la maison, à l’aide d’une femme instruite. Il y a aussi des écoles publiques, mais pas dans tous les villages et on ne peut pas y apprendre le kurde.
J’ai perdu mon père a 16 ans : ses relations avec le Parti, les allées-venues dans notre maison, lui avaient valu d’être inquiété et finalement arrêté et torturé par la police secrète iranienne. Lors de son arrestation, je fut moi-même battu et blessé à la tête. Il murut un an après sa libération, ma mère pense des suites des maltraitraitances subies en prison. De mon côté, mes mains ont commencé à se tordre et à perdre force. C’est à cette époque que j’ai commencé à travailler avec mon grand frère, qui gérait un entrepôt de nourriture près de la frontière et en assurait le transport à travers les montagnes. Nous ne faisions pas de contrebande de produits interdits (alcool, essence), donc a priori nous ne prenions pas de risques. Mais pour suivre la voie de notre père et son engagement pour la liberté, il nous arrivait de servir comme courriers : je cachais des lettres et des messages écrits qui nous étaient confiés par le Parti dans le fardeau des chevaux que je conduisais à travers les sentiers.
Un jour, la police secrète a arrêté un destinataire, qui a fait apparaître mon nom. Leurs hommes sont venus me chercher à la maison, et c’est là que ma famille a décidé de me mettre en sécurité en me faisant quitter mon pays pour le Danemark, où vivait un bon ami.
Mon départ se prépare : je suis passé par la Turquie, où je suis resté 26 jours, puis j’ai pris un avion pour l’Afrique du Sud, où j’ai attendu 23 jours, puis un autre pour la France. Malheureusement, à la sortie de Roissy on m’a arrêté, puis on a pris mes empreintes et on m’a enfermé pour 18 jours dans ce qu’ils appellent un « centre de rétention ». En réalité, ce centre est une prison, car tout est fermé, tu ne peux pas sortir, la police est très autoritaire, la nourriture inaccessible en dehors d’horaires et de lieux stricts, même pour les enfants. Après 18 jours, grâce à l’intervention de la Cour des Droits de l’Homme, j’ai été libéré. J’ai pu recontacté la personne qui devait m’amener au Danemark, et elle m’y a conduit par voiture.
Au Danemark, j’ai déposé ma demande d’asile, j’ai commencé à aller à l’école pour prendre des cours de danois, j’ai obtenu une chambre, mais les autorités, voyant que j’avais laissé mes empreintes en France, m’y ont renvoyé après 5 mois.
Je reviens donc à l’aéroport de Roissy. Je ne renonce pas à mon projet : j’essaye de rejoindre à nouveau le Danemark, en passant par l’Allemagne cette fois-ci, mais je suis arrête et gardé pendant 3 mois dans un centre de rétention, plus humain cette fois-ci, puis renvoyé à nouveau à Roissy. Très découragé, je me résigne à déposer ma demande d’asile, que j’obtiens assez vite, vu mon histoire.
Mes voici avec des papiers. Cependant, au bout d’un an, je n’ai toujours pas un endroit stable où dormir et ma santé va très mal. La Croix-Rouge a contacté le JRS pour que je sois accueilli dans une famille.
J’étais si fatigué que je n’ai même pas eu le temps de m’inquiéter sur qui seraient mes hôtes et de comment mon séjour se passerait : ce qui comptait pour moi était de ne plus dormir dehors et de pouvoir parler le français avec quelqu’un pour l’apprendre enfin.
J’étais sûr que cela allait encore prendre des mois, mais j’ai eu tout de suite une place dans une communauté jésuite où j’ai rencontré des pères formidables et puis dans une famille adorable. J’étais infiniment heureux. Ils m’ont tous donné les clés, aidé pour mes devoirs, assisté quand j’étais opéré. Pour moi la famille, avec qui je suis toujours en contact, ce sont aujourd’hui mes parents français, et les pères de la communauté mes frères : je sais que je peux compter sur eux.
Voici mon histoire. Aujourd’hui, je termine une formation, je continue à étudier le français, je me prépare à travailler dans le milieu associatif, où je fais déjà beaucoup de bénévolat comme interprète et agent d’accueil.
Ma famille me manque beaucoup, mais je ne regrette rien : je suis un homme libre.