« Dix ans de non-accueil des personnes exilées en France » :
le constat d’un collectif de plus de 80 organisations
humanitaires et syndicales

Tribune du Monde publiée le 3 février 2025 et signée par Guillaume Rossignol, directeur de JRS France

Depuis dix ans, un régime de non-accueil sévit en France envers les personnes exilées, constate un collectif de plus de 80 organisations humanitaires et syndicales, dans une tribune au « Monde ». Une gestion à court terme est privilégiée, sans offrir de réponse aux besoins des nouveaux arrivants, de plus en plus contraints au sans-abrisme.

Il est urgent de résoudre dix ans d’une situation intenable : celle du non-accueil et de la violence institutionnelle envers les personnes exilées. En 2015, le nombre de personnes venues demander l’asile en Europe augmente soudainement. Cette situation, rendue visible à Paris par l’installation de centaines puis de milliers de personnes dans des campements de rue, est depuis qualifiée de « crise migratoire ». Une appellation que nous rejetons, constatant quotidiennement sur le terrain que c’est le système d’accueil qui est en crise. Pour les familles, les enfants, les femmes et les hommes qui survivent dans ces lieux de vie informels, les conditions de vie sont délétères pour leur santé physique et psychique et parfois fatales.

Bien que très visible à Paris, cette situation a des répercussions nationales : le cycle infernal de démantèlement de ces campements et d’opérations de « mise à l’abri » s’accompagne de la délocalisation en bus de ces personnes vers d’autres régions, la plupart du temps sans concertation avec elles. Elles subissent alors une perte de repères, de ressources et d’opportunités dans un contexte déjà précaire d’hypermobilité. Par ailleurs, Paris est souvent un lieu d’étape avant le littoral des Hauts-de-France, où les atteintes aux droits fondamentaux sont innombrables et mortifères.

Un état de fait intolérable, auquel le président Emmanuel Macron disait précisément souhaiter mettre un terme lorsqu’il déclarait, le 27 juillet 2017 : « La première bataille, c’est de loger tout le monde dignement. Je ne veux plus, d’ici à la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois ou perdus. »

Des scènes de violence répétées

Cette situation de non-accueil, c’est aussi dix ans de victoire idéologique de l’extrême droite, car elle est pensée structurellement pour éviter un supposé « appel d’air ». Cette théorie infondée, largement infirmée depuis des années par les chercheurs qui travaillent sur ces questions, propose une lecture erronée des dynamiques de l’exil consistant à croire que l’on fuirait les persécutions et la pauvreté non pas en dernière mesure pour se sauver, mais plutôt pour venir profiter à Paris d’une place d’hébergement ou de minima sociaux. Les équipes gouvernementales successives ont ainsi appliqué une politique de non-accueil systématique et fait de la vie des nouveaux arrivants un enfer. Le passage par la case sans-abrisme est devenu à leurs yeux obligatoire pour supposément dissuader de venir, ou de rester, toutes celles et ceux qui viennent demander une protection dans notre pays.

Ces dix dernières années ont été marquées par la maltraitance des personnes exilées à Paris et en Ile-de-France. Diverses modalités de gestion de l’enregistrement des personnes ont été expérimentées : des files d’attente interminables devant des dispositifs sous-dimensionnés, notamment durant l’épisode de la « bulle » humanitaire à Porte de la Chapelle de 2016 à 2018 ; la dématérialisation du guichet de demande d’asile, devenu un numéro de téléphone payant en 2017, et qui participe à l’invisibilisation des personnes exilées des espaces publics sans pour autant faciliter leur accès aux dispositifs et à leurs droits.

L’encampement des personnes exilées se traduit par l’existence de nombreux lieux de vie informels, et notamment de campements regroupant parfois jusqu’à 4 000 personnes à Paris et en petite couronne. Les nombreuses tentatives des autorités de mettre fin à ce phénomène par une politique de « zéro points de fixation » se sont matérialisées par des scènes de violence répétées lors et à la suite des démantèlements de ces lieux de vie. A l’instar du nettoyage social organisé à l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques (JOP), la réponse politique a toujours été plus policière qu’humanitaire, dévoyant l’usage initial prévu du service public policier. Les expulsions et le harcèlement par les forces de l’ordre sont ainsi devenus l’une des conditions structurelles du quotidien des personnes exilées à Paris.

Ouvrir des dispositifs de premier accueil

Mais cette décennie a aussi été marquée par plusieurs épisodes de prise en charge d’ampleur ; pendant la pandémie de Covid-19 en mars 2020, lors de l’arrivée des 3 000 Afghans qui fuyaient la prise de Kaboul par les talibans en août 2021, ou à l’occasion de l’accueil inconditionnel des Ukrainiens dès le mois de mars 2022.

Au-delà de ces deux moments précis, le non-accueil semble être la méthode préfectorale envisagée pour encore de nombreuses années. Les conséquences en sont bien connues : le renforcement du sans-abrisme dans notre pays et de son traitement partiel et très court-termiste dans une urgence perpétuelle, légitimée par l’emploi du terme de « crise ».

En effet, depuis 2015, les préfectures d’Ile-de-France ont organisé a minima 405 opérations de « mise à l’abri » de ces campements. Pourtant, dans une France qui se disait « prête à accueillir le monde » pour ces JOP et qui a vu, lors de la cérémonie d’ouverture, Filippo Grandi, le haut-commissaire des Nations unis pour les réfugiés, recevoir les lauriers olympiques, les campements et la rue restent le seul recours pour les futurs arrivants.

Il y a urgence à mettre un terme à une décennie de non-respect des droits humains et de nos engagements en droit international. Pour cela de nombreuses solutions existent : ouvrir des dispositifs de premier accueil inconditionnels à Paris et dans d’autres villes d’arrivée, calqués sur ceux prévus pour les Ukrainiens. Réquisitionner des bâtiments vides pour agrandir le parc de logement et d’hébergement au niveau national. Et, enfin, mettre des moyens financiers et humains à la hauteur des besoins, afin de faciliter l’insertion dans la société des personnes exilées dès leur arrivée, en rendant effectif leur accès au marché du travail, à des cours de français, à un logement digne et à un réel accompagnement social et sanitaire.

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