La « digitalisation » est un terme à la mode, souvent synonyme de progrès, rapidité, efficacité, gain de temps, modernisation.
L’accompagnement des personnes migrantes dans le cadre de leurs démarches juridiques, administratives, d’orientation, de logement… n’échappe pas au mouvement de fond d’une numérisation croissante des procédures. Pour le meilleur comme parfois aussi pour le pire.
JRS France s’intéresse ce mois-ci au nouveau portail HIPE proposé conjointement par la DGEF et l’OFII. Dans la prochaine newsletter, nous parlerons du site Réfugiés.info !
Qu’est-ce que « HIPE » ?
La dématérialisation des procédures administratives s’est accélérée avec la crise sanitaire et l’impossibilité temporaire de proposer des rendez-vous physiques aux usagers des services publics. Dans cet élan, un portail numérique unique à destination des personnes étrangères a été lancé par l’Administration : HIPE (c’est son nom), acronyme de Harmonisation et Innovation autour du Parcours des Etrangers est né de la volonté de proposer une plateforme commune à la DGEF (Direction Générale des Etrangers en France) et à l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration), afin de « moderniser » les démarches des 300 000 usagers annuels de l’administration des étrangers en France.
Six types de démarches sont couverts par ce portail :
- Obtenir des informations générales sur les procédures ;
- Suivre l’évolution des dossiers et accéder aux données personnelles ;
- Obtenir des documents, attestations pour poursuivre des démarches administratives ;
- Prendre rendez-vous avec un conseiller pour un accompagnement spécifique ;
- Pouvoir mettre à jour facilement la situation administrative ;
- Effectuer les démarches en ligne ».[1]
L’éventail des démarches concernées est relativement large, des demandes de titres de séjour aux demandes d’autorisations de travail par exemple.
Les publics ciblés sont, selon le Ministère de l’Intérieur, les personnes étrangères parlant ou non français, maitrisant ou non les outils numériques. La visée est donc également très large.
Ce portail est accessible à l’adresse https://etrangers-en-france.interieur.gouv.fr/accueil.
Le portail redirige ensuite les utilisateurs vers les liens des administrations et préfectures concernées par les démarches. Il est alors possible d’effectuer des démarches en ligne, et de prendre rendez-vous pour les dépôts de dossiers auprès des administrations.
Toutefois, pour accéder à ce portail et aux démarches liées à son dossier, il faut se connecter via un compte qui doit impérativement être créé par les administrations lors du dépôt de la demande d’asile. Il est impossible de créer son espace personnel soi-même. Ce fonctionnement soulève inévitablement des questions d’accessibilité.
Enjeux de la dématérialisation, quelques éléments du débat :
Si la dématérialisation s’entend comme une option supplémentaire permettant d’éviter des déplacements physiques inutiles et des délais d’attente souvent fastidieux, elle doit effectivement être soutenue. Toutefois, au-delà des avantages avancés par les pouvoirs publics (simplification, modernisation, réconciliation entre usagers et administrations…), certains inconvénients ont été soulevés, notamment par les usagers et les associations, en particulier lorsque la dématérialisation n’est plus simplement une option :
- si la prise de rendez-vous était déjà dématérialisée, les dépôts de dossiers eux-mêmes sont désormais parfois proposés ou « imposés » via des plateformes en ligne. Cette procédure donne pourtant lieu à de nombreuses situations de rupture de droits. Ainsi, les personnes étrangères se trouvent privées de leur droit à interagir avec un interlocuteur direct, et par là même, de la possibilité d’exposer des situations particulières qui nécessitent des prises en charge adaptées.
Dans un rapport de juillet 2020, le Défenseur des Droits avançait que « Si une seule personne devait être privée de ses droits du fait de la dématérialisation d’un service public, ce serait un échec pour notre démocratie et pour l’Etat de droit ».
- La dématérialisation des procédures devient une amélioration certaine lorsque l’entièreté des usagers a un accès égal et qualitatif au numérique. Ce n’est pas le cas aujourd’hui et des efforts doivent être portés sur l’accessibilité et le bon usage des procédures numériques.
La question de la dématérialisation concerne aujourd’hui de manière accrue les procédures d’asile et de séjour effectuées en préfecture. Pour rappel, la possibilité d’accéder à un guichet est aujourd’hui une obligation légale des préfectures.
Diverses juridictions ont rappelé les préfectures à la loi concernant ce point. Le 27 novembre 2019, le Conseil d’Etat affirmait que les procédures dématérialisées ne pouvaient être imposées et constituer la seule option pour les usagers des services publics. Le 18 février 2021, le tribunal administratif de Rouen a donné raison à des associations, considérant qu’un arrêté de la préfecture de Seine-Maritime imposant la dématérialisation des demandes de titre de séjour était illégal. Le tribunal de Rouen a par ailleurs précisé qu’une procédure dématérialisée concernant le droit au séjour était toujours illégale, qu’elle soit obligatoire ou non. Les démarches de droit au séjour sont effectivement exclues du champ légal de la dématérialisation des procédures. Au 30 juin 2021, vingt-trois préfectures étaient assignées devant les tribunaux administratifs au sujet de la dématérialisation[2].
Pour une analyse à jour et synthétique des enjeux de la dématérialisation, nous vous invitons à lire les deux pages (p95-97) qui y sont consacrées dans le rapport de la commission d’enquête parlementaire publié le 10 novembre 2021 sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d’accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France (https://www.assemblee-
Enjeux de la dématérialisation, le rôle de JRS France:
JRS France est attentive à ce que la dématérialisation des procédures ne conduise pas à des dénis de droits ou d’accès aux droits notamment pour les personnes les plus fragiles et vulnérables.
N’hésitez pas à nous faire part de vos retours concernant l’utilisation des plateformes dématérialisées et les difficultés éventuellement rencontrées lors des démarches réalisées pour les personnes que vous accompagnez.
Ces retours de terrains sont très précieux pour améliorer notre accompagnement des personnes, mais également dans nos démarches de plaidoyer, pour honorer le troisième pilier de notre action (Accompagner, Servir, Défendre) !
[1] Source : Ministère de l’Intérieur, plaquette de présentation du portail HIPE.
[2] Source : Gisti, « La dématérialisation dans le viseur : 23 préfectures devant les tribunaux administratifs », https://www.gisti.org/spip.php?article6616