Si les mouvements xénophobes prennent autant d’ampleur en Europe, ce n’est pas tant par ce que disent les extrêmes que par ce que ne disent plus les dirigeants démocratiques. Si l’Europe plonge dans une véritable crise démocratique, comme l’a bien montré dès 2017 Ivan Krastev dans son livre Le destin de l’Europe (1), c’est en grande partie faute de réponses à la crise de l’accueil des migrants et les atteintes aux droits fondamentaux de plus en plus étendues et banalisées que cela entraîne.
À l’heure où le Conseil de l’Union Européenne a trouvé un consensus sur les grandes lignes du Pacte Asile et immigration et les discussions en trilogue commencent (2), il s’agit de peser sur notre gouvernement pour la sauvegarde du droit d’asile et des droits fondamentaux qui font tenir nos démocraties.
En effet, dans un équilibre, certes difficile à trouver face aux urgences humanitaires, entre protection des frontières et protection des personnes, le système européen bascule largement du côté « contrôle » et « répression ». Outre un coût humain incalculable (dont les milliers de morts en Méditerranée), le Parlement européen a évalué le coût d’une absence de véritable politique d’accueil des demandeurs d’asile à entre 40 et 60 milliards d’euros par an (3). L’absence de voies sûres et légales vers l’Europe entraîne des dépenses en constante augmentation dans le contrôle aux frontières, la lutte contre les passeurs et les opérations de sauvetage; des accords sont négociés avec les pays tiers pour « tenir » les migrants (4); le système Dublin, qui impose de demander l’asile dans le premier pays d’entrée en Europe, ne tient pas compte des préférences des demandeurs d’asile pour s’installer là où ils pourront le plus facilement s’intégrer et implique des mouvements secondaires importants de demandeurs d’asile qui cherchent une protection efficace; les problèmes d’accès au travail des demandeurs d’asile ainsi que des conditions d’accueil très souvent indignes entraînent une détérioration de leur santé physique et mentale et retarde significativement leur intégration.
Or le Pacte, loin d’avancer sur ces questions, vient déséquilibrer davantage le système au risque de le faire basculer. En effet, de nouveaux règlements avec des mesures de “filtrage”, des procédures d’asile à la frontière et un système de répartition des demandeurs d’asile, qui demeure inchangé malgré son injustice et son inefficacité, ont été proposés par la Commission européenne et approuvés par le Conseil.
1- Le règlement « filtrage aux frontières de l’UE »
Le règlement établissant un filtrage des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures concerne les personnes entrées ou voulant entrer de manière irrégulière sur le territoire européen. Un tri sera effectué entre les personnes qui ont des raisons de demander l’asile et les autres en vue d’expulser ces dernières sans délai.
👉 Connaître les principales mesures de ce règlement et les recommandations de JRS France.
2- Le règlement « procédure d’asile »
Ce règlement remplace la Directive relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale et introduit une nouveauté : l’instruction des demandes d’asile à la frontière.
👉 Connaître les principales mesures de ce règlement et les recommandations de JRS France.
3- Le règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration
Ce règlement, qui vient remplacer celui de « Dublin » considéré par tous comme injuste et inefficace, garde cependant les mêmes critères de répartitions des demandeurs d’asile dans l’Union Européenne. La nouveauté provient de l’instauration d’une solidarité obligatoire des États membres pour l’accueil des demandeurs d’asile ou la gestion de cet accueil.
👉 Connaître les principales mesures de ce règlement et les recommandations de JRS France
4- Le règlement visant à “faire face aux situations de crise et aux cas de force majeure” dérogatoire au droit d’asile
Avec ce règlement de crise, la Commission européenne vise à créer un régime juridique adapté à « des situations exceptionnelles d’afflux massif de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides arrivant irrégulièrement dans un État membre, d’une ampleur et d’une nature telles qu’elles rendraient le système d’accueil ou de retour d’un État membre inefficace”.
👉 Connaître les principales mesures de ce règlement et les recommandations de JRS France
5- Une refonte de la Directive Accueil
Avec ce règlement de crise, la Commission européenne vise à créer un régime juridique adapté à « des situations exceptionnelles d’afflux massif de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides arrivant irrégulièrement dans un État membre, d’une ampleur et d’une nature telles qu’elles rendraient le système d’accueil ou de retour d’un État membre inefficace”.
👉 Connaître les principales mesures de ce règlement et les recommandations de JRS France
- Ivan Krastev : Le Destin de l’Europe – Une sensation de déjà vu ; Premier Parallèle, 2017 ; 152 pages – présentation ici
- Le Pacte vise notamment à gérer l’accès des migrants à l’Europe ainsi que la répartition des demandeurs d’asile entre les différents États, leur accueil et les procédures pour l’obtention du statut de réfugié. Il a été présenté par la Commission européenne à l’automne 2020. Les discussions en trilogue (Commission, Conseil et Parlement européen) ont commencé en particulier pour trois nouveaux règlements : filtrage aux frontières (26/04/2023); procédure d’asile (18/04/2023); gestion de l’asile et de la migration (13/06/2023). Le règlement visant à faire face aux situations de crise n’a, quant à lui, pas encore abouti à une position commune au sein du Conseil.
- European Parliament, The Cost of non Europe, Oct. 2018: https://www.europarl.europa.eu/thinktank/en/document/EPRS_STU(2018)627117
- Suite au pacte EU/Turquie de 2016, de nombreux autres accords ont suivi. Ainsi en novembre 2022 a été adopté le plan d’action pour la Méditerranée centrale qui se concentre sur la coopération avec les pays d’Afrique du Nord (en particulier Lybie, Tunisie, Égypte et Niger) pour la formation et l’assistance des gardes-frontières, le soutien de Frontex pour les expulsions et des accords de réadmission.