Dans cette perspective, la lecture de l’arrêt I.M. c. France analyse un régime juridique de l’accueil largement affectée par le recours extensif des autorités françaises à la procédure prioritaire. Sans préjudice des autres ajustements dont l’expérience globale des associations d’aide aux demandeurs d’asile montre la nécessité, la lecture de l’arrêt I.M. c. France suggère des pistes concrètes pour une protection plus conforme aux engagements internationaux de la France.
1. La présentation retardée des demandes d’asile des personnes interpellées ou incarcérées provoque l’application automatique de la procédure prioritaire
Le demandeur, selon ses dires largement entérinés par la CEDH (• 141), n’a été en mesure de manifester efficacement son intention de demander l’asile que lors de son placement en rétention administrative, où il a pu bénéficier de l’assistance de la CIMADE. Lors de sa mise en garde à vue pour entrée ou séjour irrégulier et faux et usage de faux papiers, lors de son jugement en comparution immédiate puis lors de sa détention, il n’a pu se faire entendre sur ce point. L’arrêt de la CEDH relève en particulier que « le requérant, gardé à vue puis détenu, n’a pas pu se rendre en personne à la préfecture pour introduire une demande d’asile, comme l’exige le droit français » (• 141). L’arrêt relève aussi que « les formulaires de l’OFPRA ne peuvent pas être envoyés directement par les détenus car le dossier OFPRA n’est complet que si les empreintes digitales du demandeur sont relevées par la préfecture » (• 43) et que les permissions de sortir pour se présenter devant les services préfectoraux ne sont accordées que selon les critères habituels de la détention, qui ne tiennent pas compte de la situation particulière des détenus susceptibles de présenter une demande d’asile.
La CEDH précise : « il est alors fréquent que les préfectures estiment que l’intéressé doit attendre sa sortie de prison pour déposer sa demande d’asile, éventuellement en centre de rétention ». De fait, l’absence de demande n’a pas, en soi, de conséquences irréversibles. En effet, seule une mesure d’éloignement ou d’expulsion, qui peut être contestée devant le juge administratif, peut conduire au refoulement, qui signe l’échec de l’accès à l’asile.
L’inconvénient le plus sensible de la difficulté de déposer une demande d’asile avant le placement en rétention et le déclenchement des opérations de refoulement est l’application automatique de la procédure prioritaire. La CEDH note que « le seul fait que la demande d’asile du requérant ait été considérée comme étant postérieure à l’arrêté de reconduite à la frontière a suffi aux autorités pour considérer qu’elle reposait sur une « fraude délibérée » ou constituait un « recours abusif à l’asile » » ; elle relève aussi « le caractère automatique du classement en procédure prioritaire de la demande du requérant, lié à un motif d’ordre procédural, et sans relation ni avec les circonstances de l’espèce, ni avec la teneur de la demande et son fondement » (• 141). Or, l’application de la procédure prioritaire a des conséquences très défavorables sur l’exercice effectif du droit d’asile.
2. Les conséquences de l’application de la procédure prioritaire
La CEDH analyse de façon détaillée les conséquences, « substantielles quant au déroulement de la procédure » (• 144), du classement d’une demande en procédure prioritaire.
Le délai de saisine de l’OFPRA est, pour un étranger placé en centre de rétention administrative, de cinq jours après avoir reçu notification de ses droits, alors que le même délai est, pour l’étranger non retenu, de vingt et un jours à compter de la remise de l’autorisation provisoire de séjour et quinze jours dans le cas où l’admission au séjour lui a été refusée. La CEDH relève « le caractère particulièrement bref et contraignant » du délai de cinq jours, « s’agissant pour le requérant de préparer, en rétention, une demande d’asile complète et documentée en langue française, soumise à des exigences identiques à celles prévues pour les demandes déposées hors rétention selon la procédure normale » (• 144). La CEDH souligne aussi que « le placement en rétention ne permet pas, dans un délai aussi bref, de rassembler, par l’intermédiaire de contacts extérieurs, tous les éléments susceptibles d’appuyer et de documenter une demande d’asile, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une première demande » (• 146).
La CEDH estime dès lors que « le classement de la demande d’asile du requérant en procédure prioritaire a abouti à un traitement extrêmement rapide, voire sommaire de cette demande par l’OFPRA ». Pour la Cour, « l’ensemble des contraintes imposées au requérant tout au long de cette procédure, alors qu’il était privé de liberté et qu’il s’agissait d’une première demande d’asile, ont affecté en pratique la capacité du requérant à faire valoir le bien-fondé de ses griefs tirés de l’article 3 de la Convention » (• 148). De cette situation à l’étape de la préparation de la demande d’asile résulte la qualité défectueuse de la saisine de l’OFPRA et celle de l’examen de la demande. La CEDH relève en outre à cet égard « la durée limitée de l’entretien devant l’OFPRA, s’agissant d’une première demande présentant un caractère complexe » (• 155).
La CEDH note aussi que le caractère non suspensif d’une reconduite à la frontière du recours porté devant la CNDA contre les décisions de rejet prises par l’OFPRA dans le cadre de la procédure prioritaire interdit de corriger en appel les carences relevées ci-dessus (• 156).
3. Les voies de recours ouvertes contre les décisions d’éloignement ne compensent pas les effets de ces carences procédurales
Le gouvernement français a fait valoir devant la CEDH que, au regard de l’article 3 CEDH interdisant la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, seule la décision d’éloignement a une incidence (• 137). Effectivement, le rejet de la demande d’asile ne vaut pas décision de refouler, une décision administrative d’éloignement est nécessaire, à laquelle un recours devant le tribunal administratif peut faire échec, y compris sur le fondement des articles 3 et 13 CEDH combinés, empêchant ainsi le refoulement.
Pour autant, la CHED examine l’effectivité de l’ensemble des voies de droit ouvertes à un demandeur d’asile menacé de refoulement vers le pays qu’il a fui. Le système juridictionnel est considéré comme un ensemble instituant ou n’instituant pas des garanties suffisantes contre les refoulements arbitraires.
De ce point de vue, la CEDH estime que la procédure devant le tribunal administratif ne compense guère les insuffisances de l’instruction des demandes. Si le recours est suspensif, l’examen des risques encourus en cas de refoulement est insatisfaisant. A cet égard, la CEDH « met en exergue le caractère extrêmement bref du délai de quarante-huit heures imparti au requérant pour préparer son recours, en particulier par rapport au délai de droit commun de deux mois en vigueur devant les tribunaux administratifs » (• 150), relève que la brièveté de ce délai a contraint le requérant, en détention et dépourvu d’assistance juridique et linguistique, à rédiger recours comportant des arguments peu circonstanciés et dépourvus d’éléments de preuve sous la forme d’un courrier en langue arabe, souligne le caractère inefficace de l’assistance ponctuelle, à l’audience, d’un avocat commis d’office rencontré peu de temps avant l’audience (• 151 et 152).
4. Les ajustements envisageables
4.1. En ce qui concerne les difficultés rencontrées par les personnes interpellés ou incarcérées pour présenter une demande d’asile, la solution réside essentiellement dans une réforme de la procédure prioritaire. A défaut de réforme, il pourrait être envisagé de faire constater par le juge administratif l’inconventionalité de l’application automatique de la procédure prioritaire en cas de dépôt de la demande d’asile après la notification d’une mesure d’éloignement. L’arrêt I.M. c. France fournit des éléments d’argumentation (• 141) sur cette automaticité que l’administration ne reconnaîtra pas.
Il n’en serait pas moins utile de faciliter le dépôt des demandes d’asile par les personnes interpellées ou incarcérées, peut-être en confiant expressément des responsabilités à cet égard à aux services de premier accueil. A cette fin, le premier point, « accueillir et informer les demandeurs d’asile sur les démarches à entreprendre », du « référentiel des prestations de premier accueil des demandeurs d’asile » pourrait être complété par une formule prévoyant la présence des plateformes non plus seulement dans leurs locaux mais aussi dans l’ensemble des lieux de détention. Les plateformes intervenant dans les lieux de détention auraient à assurer la totalité des prestations prévues par le droit commun.
4.2. En ce qui concerne la procédure prioritaire, il conviendrait de donner un caractère suspensif de l’exécution des mesures d’éloignement à l’appel contre les décisions de rejet de l’OFPRA interjeté par les personnes faisant l’objet de cette procédure. Sans préjudice des modifications de cohérence nécessaires dans d’autres articles du CESEDA, il conviendrait, en s’inspirant de la rédaction de l’article L. 742-3, de modifier celle de l’article L. 742-6 afin d’accorder aux étrangers soumis à la procédure prioritaire le droit de se maintenir en France « jusqu’à la notification de la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou, si un recours a été formé, jusqu’à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d’asile. »
Le caractère suspensif doit bénéficier à l’ensemble des recours contre des décisions de rejet prises dans le cas de la procédure prioritaire, qu’il s’agisse d’une première demande ou d’une demande de réexamen. L’arrêt Sultani c. France du 20 septembre 2007 précise à cet égard que « compte tenu de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation d’un risque de torture ou de mauvais traitements, la notion de recours effectif au sens de l’article 13 requiert la possibilité de faire surseoir à l’exécution d’une mesure d’expulsion » et « qu’en matière d’éloignement du territoire, un recours dépourvu d’effet suspensif automatique ne satisfaisait pas aux conditions d’effectivité de l’article 13 de la Convention » (• 50).
4.3. Même assortie d’un caractère suspensif la procédure prioritaire n’en resterait pas moins grevée des vices inhérents aux conséquences cumulées de son automaticité de fait et des conditions d’instruction sommaire des demandes qu’elle implique. La CEDH met en relief le caractère particulièrement discutable de cette situation dans le cas des premières demandes, 62,5 % des procédures prioritaires, surtout quand celles-ci ont un caractère complexe (• 143 et 155).
En revanche, l’arrêt I.M. c. France confirme la solution, déjà exposée dans l’affaire Sultani c. France, selon laquelle le réexamen d’une demande d’asile selon le mode prioritaire ne prive pas l’étranger en rétention d’un examen circonstancié dès lors qu’une première demande a fait l’objet d’un examen complet dans le cadre d’une procédure d’asile normale.
Dans ces conditions, un ajustement du régime juridique de l’asile se bornant à tirer les conséquences de la jurisprudence I.M. c. France pourrait ne concerner que les premières demandes. Ceci pourrait conduire à limiter expressément, pour les premières demandes et dans les hypothèses couvertes par la 4° de l’article L. 741-4 du CESEDA, l’application de la procédure prioritaire aux cas de fraude délibérée. Il conviendrait de modifier à cet effet l’article L. 723-1 du CESEDA.
4.4. Il serait enfin légitime de lever les difficultés ponctuelles relevées par l’arrêt I.M. c. France, telles que l’absence de prise en charge par l’État, en centre de rétention, de la rétribution des interprètes mis à la disposition des demandeurs d’asile dans le cadre de la présentation des demandes d’asile (article R. 553-11 du CESEDA).
Extraits du communiqué de Forum-Réfugiés
Forum réfugiés se réjouit de l’arrêt rendu aujourd’hui par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans l’affaire IM contre France.
L’arrêt de la Cour constitue une reconnaissance sans ambigüité de l’absence de garanties procédurales dont disposent les demandeurs d’asile placés en rétention. En se fondant sur les observations de l’UNHCR, qui avait exprimé son inquiétude face à un recours trop large aux procédures prioritaires des demandes d’asile, la Cour a jugé que le gouvernement français ne peut placer de façon systématique les demandeurs d’asile placés en rétention en procédure prioritaire, en application de l’article 741-4 du CESEDA.
Par ailleurs, la Cour a relevé de multiples difficultés qui entourent la procédure de demande d’asile en rétention : le délai de cinq jours est insuffisant pour préparer suffisamment une première demande d’asile, le délai de 48h est jugé trop court pour introduire un recours devant le tribunal administratif et invoquer ses craintes de persécutions en cas de retour dans le pays d’origine, et les trente minutes d’entretien à l’OFPRA dont à bénéficié le requérant sont insuffisantes pour analyser une demande d’asile complexe.
Si la Cour a condamné la France au titre de l’article 13 sur l’absence de recours effectif pour défaut de caractère suspensif du recours devant la CNDA, c’est parce que les « insuffisances relevées quand à l’effectivité des recours exercés par le requérant n’ont pu être compensées en appel ».
Les demandeurs d’asile en rétention ne pourront désormais plus être placés systématiquement en procédure prioritaire. Les demandeurs exprimant une première demande, n’étant manifestement pas abusive ou frauduleuse (article L 741-4 du CESEDA), devront, selon Forum Réfugiés, être admis au séjour au titre de l’asile.
Pour Forum réfugiés, l’arrêt de la CEDH constitue une avancée certaine dans l’accès aux droits et à la procédure d’asile et une victoire des ONG qui, depuis de nombreuses années, n’ont cessé de défendre le droit à un recours suspensif dans le cadre de la procédure prioritaire.
Extraits du communiqué de la Cimade
La Cimade se félicite vivement de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme I. M contre France du 2 février 2012 qui a condamné la France pour violation de l’article 3 combiné à l’article 13 (prohibition de la torture et au droit au recours effectif).
Dans son arrêt du 2 février 2012, la Cour considère que l’absence de recours de plein droit suspensif à la Cour nationale du droit d’asile et l’effectivité réduite du recours contre la mesure d’éloignement était une atteinte au droit au recours effectif. C’est donc toute la procédure prioritaire prévue par la législation qui est remise en cause.
La Cimade demande aux pouvoirs publics de modifier la législation pour rendre de plein droit suspensif les recours devant la Cour pour tous les demandeurs d’asile et dans l’attente de cette modification au ministre de l’Intérieur d’indiquer aux préfets de ne pas prendre et de ne pas exécuter de mesures d’éloignement à l’encontre des demandeurs d’asile visés par cette procédure tout en leur assurant des conditions matérielles d’accueil jusqu’à la décision de la Cour nationale du droit d’asile.