Depuis les temps anciens, la cohabitation est difficile entre les différentes ethnies de ce vaste territoire, organisées en petits royaumes. La colonisation belge a eu lieu entre 1800 et 1960 : introduction de la langue française, formation des élites mais peu de droits pour les autochtones. En 1960, suite à l’action de Lumumba, haut fonctionnaire prestigieux qui estime que le peuple congolais est prêt pour l’indépendance, la Belgique accepte de se retirer. Comme ailleurs en Afrique, la décolonisation s’accompagne du départ de fonctionnaires, militaires, médecins, instituteurs ainsi que d’anciens chefs d’entreprise : le pays est déstabilisé et des hommes forts, souvent manoeuvrés par des puissances étrangères, se succèdent au pouvoir. En 1961, le coup d’état de Mobuto le portera au pouvoir pendant 36 ans, avec une dictature très répressive qui plonge le pays dans le chaos : violences, intimidations et une corruption endémique encouragée par des salaires qui ne permettent d’assurer le quotidien (40 € par mois pour un fonctionnaire). La communauté internationale décide de faire tomber le dictateur et en 1997 le remplace avec Laurent Désiré Kabila, qui prend le pouvoir grâce à l’appui de l’armée et des puissances étrangères. Laurent Désiré est assassiné dans son salon en 2000 et son fils adoptif, Joseph Kabila, prend sa place et se fait entériner président en 2006. Cette victoire déclenche des réactions violentes de la part de l’opposition, qui accuse le président d’irrégularités, et se voit réprimée dans le sang. On peut dire, que depuis l’indépendance, la RDC n’a jamais connu de périodes de paix durable et que la situation s’est encore durcie depuis 1998 .
Dans ce contexte, qui sont les congolais qui quittent le pays ?
Tout d’abord, des migrants économiques qui se dirigent soit vers les pays francophones, à cause de la facilité linguistique, où ils espèrent être embauchés comme main d’œuvre, soit vers la Chine, où la vie est moins chère et où ils installent des restaurants, des salons de coiffures, des petits commerces. Malgré cette diaspora, on ne peut pas parler de « communauté congolaise » car l’instabilité politique engendre des méfiances parmi les émigrés.
Ensuite, il y a les exilés politiques, des militants, des journalistes, des intellectuels qui, à un moment où à un autre, se sont opposés aux actions de la classe dirigeante.
Je reviens maintenant à mon histoire.
En 2003, alors que je viens de démarrer mes études de journalisme, je suis sélectionnée pour travailler pour une radio et c’est ainsi que j’entre dans le monde du journalisme. Je continue à collaborer avec des medias pendant toute ma scolarité et en 2008, diplôme en poche, je suis embauchée par la première chaîne privée du pays, proche de l’opposition, comme reporter et présentatrice du journal télévisé. En essayant de traiter l’information de manière objective, mon équipe et moi nous heurtons de plus en plus souvent à des menaces, des coupures d’antenne, des actes de violence. J’ai vu certains de mes collègues être arrêtés en fin d’émission, humiliés publiquement, incarcérés. Bien évidemment, nous ne pouvions dénoncer personne : la police ferme les yeux. Sans entrer dans les détails de mon histoire, en décembre 2010 la situation pour moi dégénère à un tel point que je dois m’organiser pour quitter le Congo, en passant par Brazaville, où un fonctionnaire m’a procuré un passeport d’emprunt et un billet d’avion pour Paris.
Ici, j’ai trouvé refuge dans une église pendant les deux mois qui ont été nécessaires pour obtenir une domiciliation, puis je suis allée à France Terre d’Asile pour démarrer ma procédure et découvrir que je devrais peut-être attendre un an ou deux avant d’avoir une chambre. On m’adresse à la Maison des Journalistes qui promet de me loger en quelques mois et me mets en contact avec le réseau Welcome. Je suis donc accueillie dans deux familles et l’expérience de la vie française est pour moi un moment fort, réconfortant et difficile au même temps, car je me sens décalée. En décembre 2011, JRS me propose d’intervenir dans une école pour parler de mon pays, de mon parcours, de mes impressions. Les enfants de 4ème sont attentifs et bienveillants, mais je mesure combien le regard porté sur les immigrés est suspicieux et combien le discours ambiant engendre haine et dégoût.
Ce qui est aujourd’hui difficile pour moi : c’est d’abord, l’idée d’avoir quitté mon pays et de ne pas pouvoir y revenir, alors que j’aimais la vie que j’avais là-bas. Suite aux résultats des élections du 28 novembre, qui ont permis à Kabila de prolonger sa dictature, obtenir la protection de la France est pour moi aujourd’hui la seule issue pour avoir une vie digne et redevenir un être humain avec des droits.
Et puis, à Paris, pour moi qui avais beaucoup d’amis et un travail passionnant, le fait de me retrouver sans relations et sans rien d’autre à faire que des démarches administratives longues et compliquées ;
Enfin, le fait de ne pas avoir droit de travailler et de ne pas encore recevoir l’allocation de 300 euros supposée « compenser » ce droit me rend totalement démunie.
J’essaye de m’en sortir en collaborant avec des associations, j’essaye de me créer un réseau qui puisse m’aider professionnellement. Et puis, je vais essayer d’avoir un master 2, un diplôme qui m’aide à m’insérer professionnellement en France. Si la voie du journalisme ou de la com se révèleront fermées, je changerai d’orientation, mais d’abord je vais me battre pour continuer à travailler dans ce domaine qui m’enthousiasme et pour lequel je sens une réelle vocation.