À l’hôpital pédiatrique de Luanda, capitale de l’Angola, une fois par trimestre, des enfants atteints d’hydrocéphalie sont opérés gratuitement par un chirurgien bénévole. Et c’est en France que cette œuvre de solidarité trouve son origine. Le chirurgien a une sœur, Ivete, arrivée à Lyon en 2019, après avoir été contrainte de fuir son pays. Les premières semaines, elle a vécu à la rue. À travers la rencontre d’associations, notamment l’antenne lyonnaise de JRS France, elle a découvert le bénévolat, un concept jusqu’alors inconnu pour elle. Qu’elle a exporté en Angola !
Peu de temps après son arrivée à Lyon, Ivete rencontre Anastacia, une autre angolaise. À la recherche d’une solution d’hébergement, les deux femmes vont ensemble au Secours catholique, qui les oriente vers JRS Welcome [un programme de l’association JRS France, service jésuite des réfugiés, qui permet à des personnes en demande d’asile d’être hébergées et accueillies chez des particuliers]. Lorsqu’elle se souvient de la première fois qu’elle a poussé la porte de la permanence hebdomadaire de JRS à Lyon, Ivete sourit et s’anime : « on a reçu un accueil chaleureux, on a senti de l’amour de la part des gens qui nous ont accueillies ». Malheureusement, il n’y a pas de place pour les héberger dans le cadre du programme d’hospitalité Welcome et toutes deux devront attendre plusieurs semaines.
L’amour et la patience des bénévoles
Mais elles participent aux activités du programme JRS jeunes : randonnée, escalade, etc. « Ça nous a fait du bien » témoigne Ivete. Elle observe « l’amour et la patience » des personnes qui organisent ces activités et les accueillent à la permanence hebdomadaire qu’elles ne manquent jamais. « Je pensais qu’ils étaient rémunérés à la fin du mois » se souvient-elle avant d’ajouter : « mais on m’a dit que c’étaient des bénévoles ». Pour elle, c’est une découverte et même un choc : « ça m’a beaucoup marquée, je me suis dit : comment il peut exister des gens qui font du bien aux autres sans être rémunérés ? » Elle explique que chez elle, ce type d’engagement bénévole n’existe pas.
Et pour elle, ce n’est pas seulement une découverte. C’est aussi ce qui l’aide à tenir debout, loin de sa famille, dans un moment de vie particulièrement éprouvant. « Ça m’a aidée à oublier mes problèmes, parce que j’avais trouvé à JRS une famille » raconte-t-elle. Et d’ajouter : « je n’ai pas oublié ma famille mais ça m’a soulagée ». Restée en contact avec sa famille au pays, elle lui raconte ce qu’elle vit en France et elle parle de cet engagement bénévole qui l’étonne tant. Et son frère, neurochirurgien, trouve dans le récit d’Ivete l’inspiration pour s’engager à son tour, à Luanda. « Il a commencé à organiser des activités de dépistage de la tension artérielle et du diabète dans la rue » raconte-t-elle. Et il poursuit cet engagement en opérant chaque trimestre bénévolement des enfants atteints d’hydrocéphalie.
À son tour, Ivete devient bénévole
Ivete elle, ne s’est pas contentée d’exporter le bénévolat. Elle s’y est impliquée elle aussi : à JRS Welcome, elle participe à l’organisation d’activités, elle a aussi été bénévole à la radio RCF. Et depuis quelques mois, elle est présente tous les mercredis à l’accueil de jour de la paroisse Saint-André à Lyon. « J’aide les dames angolaises qui arrivent et ne parlent pas français, je traduis pour elles » explique-t-elle. Elle leur partage aussi sa propre expérience sur « la façon dont on peut s’en sortir quand on arrive en France ». Et elle ne compte pas s’arrêter. Désormais, l’engagement bénévole fait partie de sa vie : « c’est quelque chose que je vais continuer à pratiquer toute ma vie » affirme-t-elle. Et de conclure : « Merci JRS, merci à tous les bénévoles de JRS ! Je vous aime ! »
La vie d’Ivete en France est encore précaire et son avenir dans notre pays est incertain. Elle a connu la rudesse de la rue – rudesse, le mot est faible, mais y en a-t-il d’assez forts ?- la violence de devoir faire entrer sa vie et la douleur intime de son histoire d’exil dans des cases définies par l’administration, raconter et raconter encore, fournir des preuves impossibles à fournir. Personne, jamais ne pourra imaginer ce que sont ces parcours d’exil s’il ne les a vécus. Et pourtant, la France pour Ivete c’est d’abord l’engagement bénévole de celles et ceux qui l’ont accueillie gratuitement, avec suffisamment d’amour pour qu’elle puisse traverser tout cela. Quel meilleur encouragement pour les bénévoles que nous sommes à JRS à poursuivre notre engagement, modeste mais qui change des vies comme celle d’Ivete ?
Vivre la joie aux côtés des personnes exilées
Quel meilleur encouragement que l’inspiration puisée à JRS France par un chirurgien angolais qui sait la douleur de l’exil vécue par sa sœur et qui lui exprime son amour et son soutien en se laissant inspirer par le récit de ce qui l’aide à tenir debout ? Cette histoire raconte comment notre société, traversée par mille douleurs et mille violences, reste humaine grâce à l’amour donné, mais aussi reçu, dans des lieux comme JRS et dans tellement d’autres endroits, où l’amour circule gratuitement. Car ce qu’Ivete n’a sans doute pas mesuré, c’est que c’est elle qui nous met en mouvement, elle et toutes celles et ceux qui nous mettent en route parce que leurs douleurs nous touchent. Parce que leur capacité à tenir debout dans une tempête innommable nous donne de la force. Parce que les liens que nous tissons par-delà les cultures nous font vivre la fraternité universelle. Parce que sur ce chemin, à leurs côtés, nous vivons de grandes joies.
Anne Kerléo, membre du CA de JRS France