Chaque jour nous traversons Paris, ses boulevards, ses rues et ses places, nous longeons ses bâtiments, nous regardons ses cafés et frôlons ses murs, pourtant, la connaissons-nous vraiment ? Toujours cette ville semble nous échapper, nous surprendre, chargée de son poids d’histoire, de drames, de joies et de secrets. La capitale nous dévoilera-t-elle ses mystères le temps d’une journée ?
Afin que Paris nous devienne familière, nous devions tout d’abord en maîtriser la langue et les codes. Nous avons donc appris dès l’aube – certes, dans la capitale l’aube est tardive, 9h30, disent les Parisiens – la juste manière de converser avec elle. Paris est une grande dame et on ne s’adresse pas à elle sur n’importe quel ton !
Nous nous sommes entraînés à lui poser de justes questions en distinguant bien les « comment » des « pourquoi », les « quand » des « où », les « qui » des « quoi ». Il nous fallait ensuite apprendre à manier les chiffres arabes et romains afin de ne pas nous égarer dans le labyrinthe tortueux de son histoire : XIIe ? XVIe ? 1789 ? 1801 ? 1914 ? 1945 ? Puis, nous avons pris conscience que la capitale est une véritable mosaïque où les bâtiments du quotidien se mêlent aux monuments historiques : une bibliothèque est à côté d’un musée, une église est derrière une préfecture, un appartement est à droite d’une statue, un parc est devant un monument de la République. Enfin, puisque l’Histoire ne va jamais sans histoires, nous avons étudié le vocabulaire de la vie car la ville n’est rien d’autre qu’un nid à vies où chacune d’elles se déploie selon une trajectoire et des modalités qui lui sont propres : être né, être mort, avoir vécu, avoir grandi, avoir travaillé, s’être marié, avoir réussi, être passé ici ou là. Clés en main, le temps de la rencontre était venu. Paris nous attendait et nous voulions la connaître mieux.
Ce chemin de rencontre n’était pas aisé, il nous fallait ruser et surtout compter sur la bonne volonté de notre sujet, nous espérions que Paris serait coopérative et accepterait de répondre à nos questions, sans trop faire la difficile. Comme avec une personne que l’on aime, nous avancions prudemment et tentions de récolter discrètement toutes les informations possibles. Notre chemin nous mena d’abord au jardin du Luxembourg. Quels secrets pouvait bien porter ce bel espace verdoyant ? Quand avait été créé ce jardin ? Qu’est-ce qu’il tient en son centre ? Pourquoi possède-t-il une allée dite du séminaire ? Depuis quand y siège le Sénat ? Quel est le nom du théâtre devant ce dernier ? Nous apprenions ainsi qu’il n’y avait pas de frontière ici entre le quotidien et l’Histoire, que chaque jour des dizaines de coureurs et de parisiens traversaient ce parc dominé par le Sénat où les lois de la République étaient votées. Nous marchions comme une bande d’amis sur des allées construites pour une reine de France. La simplicité des histoires croisait la beauté de la grande Histoire.
Faisant un pas de plus dans les mystères de la capitale, nous sommes arrivés au pied du Panthéon. Étonnement si tout le monde reconnaît ce monument, peu en connaissent l’histoire. Sous son apparence romaine, ce géant architectural, construit par Louis XV en reconnaissance à Sainte Geneviève pour sa guérison miraculeuse, devait à l’origine être une église. Toutefois, l’Histoire en a décidé autrement – l’Histoire, pardon, disons les choses franchement, les bourgeois, le peuple en bref, la Révolution française. L’église fut transformée en Panthéon, c’est-à-dire en monument dédié à la gloire des grands hommes de la patrie. Le Panthéon passé, nous avons longé l’église Saint Etienne du Mont puis nous avons descendu la rue Mouffetard. Petit à petit, si nous lui posions gentiment nos questions, Paris nous dévoilait ses secrets : Quand est enterré la première femme au Panthéon et comment s’appelle-t-elle ? Sous quels rois de France l’église Sainte Etienne du Mont a été bâtie ? Quel est le nom et le numéro de la rue où est mort le poète Paul Verlaine ? Un autre écrivain a vécu dans cette maison, quel est son nom ?
Alors que la route commençait à nous sembler longue, nous touchions à notre but. Nous arrivions enfin à la grande mosquée, dernière étape de notre escapade parisienne. Est-ce qu’il existe quelque chose de plus mystérieux qu’un lieu de culte ? La capitale nous livrait ici son ultime mystère, derrière ses murs et ses visages, il existait peut-être autre chose, une autre réalité, impalpable et invisible, qui reliait tous les êtres entre eux. Ainsi, après avoir traversé les jardins et les pièces ornées de dorures avec le plus grand respect, nous avons achevé notre course au jardin des plantes, épuisés mais heureux. Là, nous avons partagé un goûter simple sur les marches de l’escalier d’un musée qui abrite des fossiles et espèces vieilles de plusieurs siècles. Une fois encore, la capitale nous surprenait par sa capacité de mise en relation, elle nouait, et le plus aisément du monde, la simplicité de la vie quotidienne et la grandeur de l’histoire, le matériel et le spirituel, le poids de la mémoire et la légèreté de l’amitié.
Finalement, apprendre à connaître une ville, c’est comme apprendre à connaître une personne, il faut passer du temps avec elle, être patient, poser les bonnes questions, l’observer longuement et faire attention aux détails. Ce 2 mars, nous avons appris à connaître la capitale mais plus encore, nous nous sommes découverts les uns les autres. 😊